Pierre qui roule n’amasse pas mousse. Proverbe faux, en tout cas dans sa « version » anglaise. Car les « Rolling Stones », depuis 1962, ont aligné les tubes, les albums (22), et de facto , engrangé depuis cette époque un formidable pactole. Fringant septuagénaire, anobli par la Reine, Mick Jagger possède une fortune estimée à 232 millions d’euros. Keith Richards culmine dans les mêmes latitudes. Lors de leur concert en juillet, au festival de Glastonbury, le Daily Mail , photos en très gros plan à l’appui, a titré : « Le retour des morts-vivants ». Parmi les « pierres qui roulent », s’il en est une qui est véritablement morte, et enterrée depuis longtemps, c’est Brian Jones.
Pourtant, sans lui, les Stones auraient-ils vraiment été les Stones ? Le natif de Cheltenham a « recruté » via « Jazz News », trouvé le nom du groupe inspiré de Muddy Waters, endossé le rôle de premier manager, donné la direction musicale. Les puristes n’en démordent pas : il est le leader incontesté, l’âme (damnée ?) des « mauvais garçons » en opposition aux « gentils » Beatles. Un « diable » aussi pour les gouvernements de l’époque qui, selon Pat Andrews, « préféraient voir des zombies qui les suivaient que des rebelles ».
Ami d’Hendrix, de Dylan, il a été l’une des premières rock-stars, stylée de surcroît : « Les filles voulaient ressembler à Cher, les garçons à Brian Jones ».
Pat Andrews, installée à Crystal Palace dans la banlieue de Londres, a été sa première compagne officielle. « Je l’ai haï autant que je l’ai aimé » , glisse la lady aux cheveux rouges dans un rire communicatif. Elle avait 15 ans, lui 18. Elle ne connaissait « pas beaucoup les hommes… »
Leur fils, Julian Mark, ainsi nommé en hommage à Julian « Cannonball » Adderley, saxophoniste de jazz, est né le 22 octobre 1961 (*). « Je lui ai dit quelque temps après la mort de Brian qui était son père » , souffle Pat, 68 ans aujourd’hui, rencontrée ce jour-là à proximité de London Bridge. « Il ne connaissait pas les Stones, il n’a pas pris la mesure de l’annonce. C’est comme si on vous disait en France que vous êtes le fils de Gérard Depardieu… »
« Jagger était jaloux »
Amoureuse de la France, elle ne se souvient pas avoir parlé à un journaliste français. Elle affirme n’avoir rien touché à la « mousse » des « pierres qui roulent ». Juste des petits cailloux : « Cinq livres sterling d’extra de Brian au tout début ». Et son fils ? « Dans ce pays, les enfants illégitimes n’avaient aucun droit. La loi a changé peu après la mort de Brian. Trop tard ». Brian Jones était fauché. Pourtant, soutient-elle, un « contrat » a été signé par Brian avec Giorgio Gomelsky, leur premier impresario, gérant de salles à Londres. « On en a une copie, même Giorgio à New York en possède une… Mick (Jagger) sait parfaitement que quelque chose a été signé ! »
Cet élément a-t-il creusé, dès les débuts, le fossé entre le fondateur officiel et la paire Jagger-Richards ? Pat Andrews martèle qu’il existait de toute façon « une vraie jalousie » envers Jones. « Mick and Keith l’ont pris pour un garçon de la campagne, alors qu’il était plus éduqué qu’eux, surtout musicalement. Brian n’était pas un guitariste, c’était un musicien. Le premier à jouer de la slide guitare en Europe. Un génie ! »
« De vrais gamins qui n’ont jamais grandi »
Pat Andrews a vécu avec lui durant trois ans, et à Londres, « durant sept mois ». Au démarrage, lorsqu’être – ou vouloir être – musicien signifiait : galère absolue, eau et patates. « Brian payait le loyer, moi l’alimentation courante ».
Elle a cohabité quelque temps avec Mick et Keith. Ce dernier était « calme » , le premier « courait déjà après toutes les filles ». Dont elle. « Mick a affirmé à tout le monde, y compris Brian, qu’on avait eu une relation sexuelle, alors que – devant Dieu – c’est faux. Mick n’est pas seulement responsable du départ de Brian, mais aussi de la perte d’un père pour Mark ».
Elle ne les a pas revus depuis… 1963. Et en concert, une seule fois, « en achetant (son) billet » , dans les années 80, à Wembley : « Pour voir, et c’était nul ! »
On sent poindre une immense rancœur vis-à-vis du duo infernal. « Je ne respecte pas des gens qui ont été irrespectueux. Ils ont gagné des millions sur notre dos ». Alexis Korner, premier grand bluesman britannique, qui a donné sa chance au jeune Brian, aurait confié dans les seventies à Pat : « Il ne fallait pas avoir Keith et Mick dans le même groupe, sinon cela va créer un gang et ils vont éjecter Brian… » Brian quitta le groupe en juin 1969, un mois avant de mourir.
Aimerait-elle les croiser aujourd’hui, dire ce qu’elle a sur le cœur ? « Si je les rencontrais demain, ils seraient les mêmes qu’à l’époque : de vrais gamins qui n’ont jamais grandi ! »
L’Anglaise se bat pour réhabiliter la mémoire de Brian. Elle a réussi à faire ériger une statue à Cheltenham, contre l’avis du maire, mais avec le soutien décisif en 1998 de Tony Blair, grand fan des Stones. Elle a créé un fan-club qui fait référence. « Je crois en Dieu, il y aura une justice. C’est l’un des combats de ma vie » , s’enflamme-t-elle. « Dans une autre vie, je serais Jeanne d’Arc… »